Reconnecter rivières, nappes et territoires face aux crues et au changement climatique – EPTB Aude

Restauration des Espaces de Bon Fonctionnement (EBF) des cours d’eau de l’Aude.

La démarche conduite par le SMMAR vise à restaurer la mobilité latérale des cours d’eau méditerranéens de l’Aude en recréant des « Espaces de Bon Fonctionnement » (EBF) par une combinaison d’acquisitions foncières, d’arasement ou retrait d’ouvrages (merlons, digues, enrochements anciens), et d’actions ciblées sur la ripisylve et le profil de berge afin de permettre au cours d’eau « de faire le travail » : remobiliser et redistribuer la charge sédimentaire, reformer un gabarit naturel et recharger les nappes alluviales. Cette approche, de nature hydromorphologique et non seulement hydraulique, s’est développée fortement après la crue dévastatrice d’octobre 2018.

Dans l’Aude, SMMAR – EPTB Aude restaure les Espaces de Bon Fonctionnement pour reconnecter nappes et rivières, soutenir l’étiage et renforcer la résilience. Ce projet allie restauration écologique, suivi scientifique et concertation locale pour protéger populations et milieux naturels.

Info et chiffres clés

Après les événements de 2018, le SMMAR a accéléré une politique d’acquisition foncière et de reconquête d’espaces de mobilité alluviale. Les rapports d’activité et bilans du SMMAR font état d’opérations d’acquisition et de travaux sur plusieurs dizaines d’hectares (ex. opérations commençant dès 2018 avec des tranches d’acquisition et travaux). La stratégie foncière et la programmation des EBF sont cofinancées par l’Agence de l’eau, les départements et la Région.

Enjeux

Le projet vise à contrer l’incision généralisée des lits (par endroits > 1 m d’enfoncement), la perte de charge sédimentaire, la déconnexion nappe/rivière et la dégradation des fonctions écologiques et épuratoires des alluvions. L’objectif est double : diminuer la vulnérabilité aux inondations et restaurer la résilience hydrologique et écologique (connexion nappe/rivière, soutien d’étiage, auto-épuration, habitats piscicoles). La crue d’octobre 2018 a révélé l’insuffisance d’espaces de mobilité et a accéléré la mise en œuvre d’EBF.

Les opérations s’inscrivent dans une logique de contrats de bassin et de plans pluriannuels de gestion, ce qui permet d’accéder à des financements de l’Agence de l’eau et d’articuler l’action à l’échelle des sous-bassins. Le SMMAR travaille aussi à intégrer la stratégie foncière dans les documents de planification et d’aménagement (pour identifier priorités et secteurs à reconquérir). La restauration par EBF est présentée comme complémentaire — voire préférable — à la création ponctuelle de CEC (champs d’expansion de crues) parce qu’elle vise un effet hydromorphologique global difficile à démontrer par modélisation ponctuelle. La restauration des processus fonctionnels de la rivière est plus complet qu’avec une reconnexion simple de CEC

Le portage par le SMMAR permet une approche intégrée à l’échelle du bassin : coordination entre syndicats, mise en œuvre d’une stratégie foncière, négociation collective avec les agriculteurs, mobilisation des financeurs (Agence de l’eau, Département, Région) et mutualisation des études et des compétences techniques. Cette échelle facilite aussi la cohérence des actions — nécessaires pour que la recharge sédimentaire et la restauration soient efficaces — et la capacité à monter des opérations foncières et juridiques (acquisitions, conventions) lourdes.

Déroulé et gouvernance

La conception du projet repose sur un diagnostic hydromorphologique des sous-bassins (identification des secteurs incisés, des barrières à la mobilité, et des zones où la renaturation offre un gain d’expansion de crue sans enjeux urbains). Le SMMAR a mené concertation et négociation avec les propriétaires agricoles, la Chambre d’agriculture, la SAFER et les financeurs pour des acquisitions et des mesures d’accompagnement. Les actions techniques consistent à supprimer ou réduire les protections rigides, à déstructurer localement les berges, à dessoucher des ripisylves stabilisantes quand nécessaire, puis à laisser la dynamique fluviale re-créer une bande active fonctionnelle (ou EBF) par des processus de dépôt et d’érosion. La gouvernance associe collectivités locales, syndicats de rivières, services de l’État et financeurs (Agence de l’eau, Région, Département).

  • Acteurs locaux impliqués et partenariats

Sont intervenus : SMMAR/EPTB Aude (porteur), syndicats de rivières affiliés, Département de l’Aude, Région, Agence de l’eau, Chambre d’agriculture, SAFER, EPF locaux, services de l’État (préfecture / DDT), et acteurs locaux (exploitants agricoles, associations environnementales). Les partenariats avec la SAFER et la Chambre d’agriculture ont été essentiels pour négocier les acquisitions et limiter les conflits d’usage.

Bénéfices observés ou attendus

La politique d’EBF a d’abord produit des résultats très visibles sur le plan foncier et opérationnel. Dès les premières années suivant la crue de 2018, le syndicat a engagé une stratégie d’acquisition ciblée sur des secteurs à fort enjeu hydromorphologique. Cette politique a permis de sanctuariser progressivement des zones riveraines jusque-là exploitées ou fragmentées, afin de rendre possible l’élargissement spontané du lit, la remobilisation sédimentaire et le débordement contrôlé des crues. Ces acquisitions ont souvent été conduites avec l’appui de la Chambre d’agriculture et de la SAFER, permettant d’aboutir à des accords fonciers sans conflictualité majeure, notamment par échanges ou réorganisation du parcellaire agricole.

Sur le plan hydraulique, plusieurs retours d’expérience font état d’une modification sensible des écoulements après travaux. Sur des secteurs autrefois endigués, la suppression de protections de berges et de diguettes a permis aux crues récentes de s’étaler dans les secteurs remis en espace de bon fonctionnement, réduisant localement les hauteurs d’eau dans le lit contraint. Même lorsque l’effet n’est pas immédiatement quantifiable, les équipes techniques soulignent un changement qualitatif important : la rivière retrouve des marges de liberté, les écoulements sont moins concentrés, la dissipation de l’énergie en période de crue est améliorée.

Concernant les nappes alluviales, des effets favorables attendus sont déjà observés. La reconnexion latérale du lit avec son lit majeur permet une meilleure infiltration lors des crues ordinaires, favorisant la recharge des nappes superficielles. Plusieurs secteurs restaurés montrent une humidification durable des sols alluviaux, une extension des zones humides riveraines et, dans certains cas, le retour d’une végétation hygrophile auparavant absente. Ces signes sont interprétés comme les premiers indices d’une restauration progressive des échanges nappe–rivière, ainsi que d’une amélioration de la capacité naturelle de stockage de l’eau.

Sur le soutien d’étiage, les résultats sont plus longs à mesurer mais déjà perceptibles de manière qualitative. Les tronçons restaurés présentent une meilleure variabilité morphologique (radiers, mouilles, zones lentiques), ce qui favorise la rétention d’eau locale et limite l’assèchement brutal des lits en été. Des écoulements résiduels ont été observés plus durablement dans des secteurs autrefois secs en période estivale, notamment après des printemps arrosés, ce qui est interprété comme un effet cumulatif de la recharge des nappes et de la diminution de l’incision du lit.

Les bénéfices écologiques sont également largement documentés. Le retour de bancs de graviers, de bras secondaires temporaires et de zones d’eau peu profonde a permis une recolonisation progressive par la végétation rivulaire et par certaines espèces inféodées aux milieux alluviaux dynamiques. La reconstitution d’habitats piscicoles, la diversification des écoulements et la reprise de processus naturels de tri granulométrique sont également à souligner, ce qui participe à une amélioration globale du fonctionnement biologique des cours d’eau.

Enfin, sur le plan économique et opérationnel, les retours d’expérience mettent en évidence un enseignement important : les EBF, même s’ils nécessitent des efforts fonciers au départ, permettent souvent de limiter à moyen terme les coûts répétitifs de protection de berges et d’interventions lourdes post-crue. Là où des enrochements devaient être régulièrement repris, la rivière, une fois libérée, réorganise seule ses écoulements et ses berges. Le coût initial des acquisitions est compensé par la réduction des dépenses futures de réparation, dans une logique d’investissement structurel plutôt que de gestion de crise permanente.

En résumé, les résultats les plus tangibles portent aujourd’hui sur :

  • la maîtrise foncière effective de secteurs à forts enjeux hydromorphologiques,
  • la diminution locale de la vulnérabilité aux crues,
  • la restauration progressive des connexions hydrauliques et écologiques,
  • les premiers signaux positifs sur la recharge des nappes et le soutien d’étiage,
  • et une amélioration globale de la fonctionnalité écologique des cours d’eau restaurés.

Contribution à la résilience face au changement climatique

En restaurant la mobilité sédimentaire et la connexion nappe/rivière, les EBF favorisent le stockage et la restitution lente de l’eau (soutien d’étiage) et réduisent l’agressivité des crues en dissipant l’énergie par transport solide. Cette double action diminue la vulnérabilité des infrastructures, améliore la disponibilité d’eau en période sèche et restaure des continuités écologiques — autant de leviers de résilience climatique. L’approche EBF représente donc une adaptation structurante, complémentaire aux mesures purement hydrauliques.

Enseignements

Le principal enseignement est que les actions hydromorphologiques efficaces exigent une vision de bassin, des moyens fonciers et des partenariats locaux solides. Le choix d’un EPTB/syndicat de bassin comme porteur permets d’articuler diagnostics, stratégie foncière et financements. On constate la nécessité d’agir à l’échelle du bassin (et non au coup par coup), d’associer les acteurs agricoles dès l’amont des négociations et d’intégrer la dynamique sédimentaire dans les programmes de gestion des risques.

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