Retour d’expérience – La restauration des Espaces de bon fonctionnement (EBF) – SMMAR / EPTB Aude

Présentation faite à l’occasion des Ateliers PREVIRISQ Inondations, organisés par l’ANEB au Grand Bornand, les 30 juin et 1er juillet 2022 (en savoir plus).

La crue d’octobre 2018 dans l’Aude : une crue dévastatrice

La crue de 2018 dans l’Aude a été dévastatrice. Il est officiellement tombé 350 mm/h de pluie,
certains indices sur le terrain nous laissent penser qu’il a pu avoir largement plus, jusqu’à près de 700 mm/h de pluie localement. Face à cette puissance rien ne résiste et plusieurs éléments prouvent le caractère ravageur de la crue : des arbres sains entièrement arrachés ou décapités en cimes, des berges totalement décapées, des embâcles d’essences forestières (chêne vert, chêne blanc, pin sylvestre), des objets énormes déplacés (cuves, bassins bétons, blocs rocheux…), des ponts détruits, une enveloppe de crue large de 100 à 150 m selon les secteurs (f. 1).

image
Figure 1 : la crue d’octobre 2018 sur l’Aude : une crue dévastatrice © SMMAR


Cet évènement a mis en lumière le fait que la rivière n’avait que très peu d’espace de mobilité. De plus, des digues et des merlons avaient été créés au cours des dernières décennies ou des siècles passés pour un usage agricole, économique et pour la maitrise des inondations et l’urbanisation – ce qui a de manière générale deux conséquences : le cours d’eau déborde, passe au-dessus des infrastructures linéaires (digues et merlons), crée généralement une brèche ce qui accentue énormément les vitesses de l’eau, la rivière ne retourne pas dans son lit et arrache tout sur son passage ; ces aménagements anthropiques passés entrainant un corsetage important du lit mineur, l’incision généralisée du lit est aggravée.


Un constat sur le territoire de l’Aude : une incision généralisée des cours d’eau

Depuis une cinquantaine d’années une forte incision des lits a été constatée sur le territoire de l’Aude, avec parfois plus de 1m d’incision par endroit. Le coût des inondations est aggravé par la non-appréhension du transport solide et d’emportement de matériaux.

Deux phénomènes coexistent : lors des crues morphogènes, mais pas forcément extrêmes, les matériaux présents dans le lit mineur sont emportés. Les matériaux présents dans les lits moyens et majeurs, fixés par les aménagements anthropiques (digues, merlons, enrochements, …) ne peuvent pas être remobilisés. On assiste donc à un enfoncement généralisé du lit mineur qui se vide de ses matériaux sans recharge latérale (f. 2) ; lors de crues extrêmes les espaces alluviaux pourraient être remobilisés pour recharger le cours d’eau dès lors que les aménagements anthropiques sont enlevés (arasement des protections de berges, traitement particulier de la ripisylve qui fixe les berges…). Le SMMAR introduit, et prend alors en compte dans ses actions, la notion de « transport solide » et de « gestion intégrée » de la rivière, en permettant aux cours d’eau du bassin versant de retrouver leur mobilité latérale dans les EBF, dans les secteurs pouvant présenter une mobilité intéressante dès lors que ces aménagements de berges sont enlevés, et en dehors des zones à enjeux urbains.

image
Figure 2 : affleurement des marnes à Fabrezan © SMMAR

Une prise de conscience : le transport sédimentaire, un phénomène précieux

Le transport sédimentaire est précieux et l’importance de la charge solide en rivières méditerranéennes à de multiples bénéfices. Elle permet notamment de :

  • prévenir les inondations : la rivière en crue va dissiper son énergie en transportant la charge solide, et les sédiments deviennent un matelas de protection des ouvrages (ponts, réseaux…). De plus, accroitre la restauration des EBF permet de redonner des volumes d’expansion de crue dans des secteurs dépourvus d’enjeux habités. Enfin, le transport sédimentaire va permettre une meilleure connexion nappe/rivière et un soutien d’étiage efficace ; le phénomène d’enfoncement des nappes alluviales va être stoppé.
  • favoriser une bonne qualité des eaux : les sédiments (alluvions) sont un grand filtre favorise l’épuration de l’eau. C’est un support pour les bactéries, les algues qui vont épurer l’eau des matières organiques polluantes (nitrates, nitrites, phosphates, etc…).
  • favoriser la biodiversité : les sédiments (graves et alluvions) sont un support de ponte pour de nombreuses espèces piscicoles et sont un habitat des macro-invertébrés des rivières. L’avifaune, les chiroptères, les petits mammifères, etc., recolonisent également les bords de rivière qui retrouvent un fonctionnement naturel.
  • jouer un rôle social : retrouver un fonctionnement naturel de la rivière permet un retour des citoyens sur les bords des rivières. On ne perçoit plus alors la rivière uniquement comme un vecteur de risque mais comme un vecteur de loisirs, de vie.

Les solutions de restauration : la reconquête des Espaces de bon fonctionnement par l’acquisition foncière (EBF)

Dans l’Aude, une des solutions de restauration est la mise en place d’EBF, espaces qui rendent de nombreux services (hydrologie fonctionnelle, continuité sédimentaire, connexion de la nappe au cours d’eau, autoépuration, habitats …) et permettent à la rivière de retrouver un caractère et un fonctionnement naturel (f. 3 et f. 4).

image
Figure 3 : la rivière avant travaux
image
Figure 4 : après travaux, en crue elle se charge d’enlever elle-même les matériaux et se créée son nouveau gabarit © SMMAR

Une politique d’acquisition foncière concertée a été déployée sur certains sous-bassins versants ; la crue de 2018 a permis d’accélérer et d’étendre cette politique à l’ensemble du bassin versant. En identifiant sur chaque sous bassin des zones prioritaires et en négociant avec les agricultures (travail avec la Chambre d’agriculture, la SAFER/EPF), le SMMAR a pu acquérir des terrains.

Des merlons, des digues, des enrochements, des murs en rascasses (enrochements séculaires composés de pierres sèches installées de manière verticale) ont alors été retirés, la végétation en bord de cours d’eau a parfois été dessouchée, le bord de berge a pu être déstructuré pour accélérer la reprise par le cours d’eau. Puis la rivière a « fait le travail » en transportant les matériaux lors des crues, et le coût des travaux a pu être réduit (f. 3 et f. 4). Pour qu’elles soient efficaces, ces actions doivent être menées sur l’ensemble du bassin.

La restauration des EBF outre leur fort intérêt hydromorphologique, présente également un fort intérêt hydraulique, en ce sens qu’elle permet aussi de recréer des champs d’expansion de crues (CEC).  Actuellement, la création de CEC est financée dans le cadre des PAPI. L’efficacité hydraulique doit être, dans ce cadre, démontrée par une étude hydraulique. Or, la création d’un CEC a un effet hydraulique limité au droit du projet et il est extrêmement compliqué de démontrer l’efficacité d’un CEC sur des enjeux situés à l’aval. La restauration des CEC par l’intermédiaire des EBF permet ainsi de s’affranchir de cette démonstration par modélisation, puisque l’objectif premier d’un EBF est un objectif hydromorphologique, ce qui facilite l’obtention des financements pour la réalisation des travaux non plus dans le cadre des PAPI mais des Contrats de Bassins Versants.

Conclusion et perspectives

Si aucune action n’est entreprise rapidement les cours d’eau méditerranéens vont continuer d’inciser leur lit et de se vider de leurs matériaux. Les problèmes déjà constatés vont continuer à empirer, le coût des inondations va augmenter à cause de la destruction des infrastructures (pont, voiries, réseaux…) notamment en raison de l’enfoncement généralisé des lits mineurs par l’accélération des vitesses dans des chenaux de crue, par l’aggravation des risques à l’aval des aménagements anthropiques (merlons, digues…).

Les actions à mettre en œuvre sur les cours d’eau doivent, dès à présent, prendre en compte et favoriser la dynamique sédimentaire. Or, les PAPI ne l’appréhende pas, en se concentrant sur le transport liquide sans tenir compte de la charge solide des rivières, composante essentielle à leur fonctionnement. Le travail avec les Agences de l’eau, via le Contrat de bassin, qui permet une approche hydromorphologique, intégratrice de l’ensemble des composantes d’un cours d’eau, permet de mieux appréhender la question.

La reconquête des EBF sur le bassin versant de l’Aude est financée via l’agence de l’eau, les départements et la Région. Cette politique qui se généralise suite aux récents évènements majeurs de 2018, 2020 etc., fait actuellement l’objet d’une réflexion par le biais d’une stratégie foncière à l’échelle du bassin versant, qui permettra de définir des secteurs prioritaires pour la reconquête des EBF, voire l’intégration, à termes, de cette stratégie dans les documents de planification et d’aménagement du territoire.

Ressources :